«C’est bien le foot, ça nous permet d’oublier nos misères», témoignages de migrants africains dans le monde.
Ils sont à Paris, en Belgique ou en Tunisie, sans-papiers souvent, et vivent dans des conditions difficiles , voire catastrophiques. Le temps d’une mi-temps,la compétition de la CAN est souvent pour eux une parenthèse dorée qui leur permet, le temps d’un match de football, d’oublier la précarité de leur quotidien. Voici leurs témoignages
Lassina, Ivoirien, sans-papiers, actuellement en attente de sa régularisation, vit en région parisienne
Je suis évidemment supporteur de la Côte d’Ivoire, c’est mon pays, et vous avez vu notre parcours ! On est ressuscités ! Sans le Maroc, on n’aurait pas gagné, on passait pas les 8e de finale.
En dominant la Zambie (1-0) lors du dernier match de poules, les Lions de l’Atlas ont fait un beau cadeau à l’hôte ivoirien, qualifié miraculeusement pour les quarts de finale de la Coupe d’Afrique des nations.
Pour les quarts de finale, je vais regarder le match sur mon portable, comme d’habitude. Ca sera samedi à 18h, je travaille que le matin, je finis à 12h. Je vais pouvoir regarder le match en famille avec ma femme chez nous, tranquillement. Je suis ravi !
Je regarde les matchs en me connectant sur des chaînes piratées sur Google. Parfois, les matchs que je trouve sont commentés en arabe, parfois en français, ça me dérange pas.
Ce n’est pas diffusé à la télé gratuitement en France, il faut avoir un abonnement à une chaîne payante. Ce n’est pas mon cas.
Le problème avec la CAN, ce sont plutôt les horaires. Moi, je fais des ménages dans des entreprises, je travaille tôt le matin, et tard le soir, je finis souvent vers 20h. Donc quand les matchs ont commencé, je suis parfois en train de travailler, parfois dans les transports en commun pour rentrer chez moi.
Ce qui est frustrant, c’est quand tu perds la connexion dans le RER alors qu’on est en pleine action ! Tu es obligé d’attendre, c’est horrible !
Et puis, c’est dur de ne pas montrer sa joie ! On se retient de pousser des cris de bonheur dans le bus, alors je fais des petits gestes de victoire sur mon siège devant mon petit écran. Si je me mets à hurler de joie tout seul, on me demanderait de descendre, c’est sûr.
La Côte d’Ivoire est le pays hôte de la compétition. Les Éléphants ont éliminé le Sénégal, tenant du titre, aux tirs aux buts.
Edo, Congolais, demandeur d’asile en Belgique
« Evidemment que la RD Congo va gagner la compétition. C’est sûr. On a battu la grande équipe égyptienne, et là on va jouer contre la Guinée. On a toutes nos chances.
Je regarde les matchs dans mon centre d’accueil à Tournai avec les autres résidents. On branche un de nos portables à la télévision du centre. Ensuite, tout le monde regarde le match. On est très nombreux, il y a plein d’ambiance. On est 750 résidents dans le centre, et à chaque match, on est environ 100 personnes, il y a des femmes et enfants, de toutes nationalités.
Ce sont des moments de gaité, il y a même des Afghans avec nous, alors que normalement, on ne se mélange pas trop. Là, toutes les tensions du quotidien s’apaisent, ils regardent tous les matchs avec nous, on rit beaucoup.
Le foot, ça nous apaise, ça nous permet d’oublier nos misères… Pour moi, imaginez, je pense sans cesse à ce qui se passe dans mon pays, là-bas, on nous tue, alors une victoire au foot, ça fait du bien, on oublie un peu qu’on nous fait du mal. Chaque victoire à la CAN est dédiée aux victimes de la guerre dans notre pays.
En ce moment, j’adore la connexion entre tous les pays africains. Par exemple, les supporters du Congo Brazza, qui vient d’être éliminé, soutiennent la RD Congo, et ça, c’est super.
On dit aussi aux enfants du centre de Tournai : ‘Vous êtes nés en Europe, en Belgique, mais c’est ça (la RDC) c’est votre pays, c’est ça votre équipe nationale !’
On va regarder les quatre prochains matchs des quarts de finale, et je suis sûr qu’il y aura beaucoup d’ambiance !
Kelvin, Nigérian, sans-papiers, vit en Tunisie
Moi, je regarde tous les matchs sur mon portable.
Je préférerais regarder la CAN avec d’autres personnes dans des cafés, parce que c’est diffusé sur des grandes télévisions, c’est plus festif, mais en Tunisie je n’ai pas confiance. J’ai peur que les Tunisiens me frappent ou m’arrêtent si je sors dans la rue.
Depuis plusieurs mois, les autorités tunisiennes organisent des rafles dans les différentes villes du pays et expulsent illégalement les Noirs en situation irrégulière en les envoyant dans le désert libyen ou algérien. Abandonnés sans eau ni nourriture, les migrants subsahariens risquent leur vie : ils peuvent se perdre, mourir de soif ou de faim. Pour éviter ces rafles, beaucoup, comme Kelvin, se cachent et n’osent plus sortir de chez eux.
Je supporte le Nigéria, mon équipe, qui joue vendredi contre l’Angola. Je suis sûr qu’ils vont gagner.
Je regarderai dans ma chambre, seul, ça me dérange pas. Au moins je suis en sécurité.
George, Camerounais, sans-papiers, vit en Tunisie
C’est vrai, on regarde les matchs seul, chacun de son côté. Tout le monde vaque à ses occupations. Pour les matchs en quart de finale on va voir ce qu’on peut faire. J’aimerais bien que ce soit plus festif, aller chercher de quoi manger, de quoi boire. Mais on n’a pas d’argent, on vit de la générosité de nos voisins tunisiens.
Vous savez, on n’ose pas sortir de chez nous parce qu’on est Noir, il y a beaucoup de racisme dans ce pays.
Dans les cafés tunisiens, il y a du racisme, on peut nous demander de partir si on essaie de s’asseoir à une table pour regarder un match.
De toute façon, beaucoup de sans-papiers n’ont pas d’argent. Et on n’a pas le droit de s’attabler si on ne consomme pas. C’est comme ça partout.
Nous, on n’a rien. On n’a pas d’argent pour se payer un café dans un bar, ou en terrasse. Alors ça règle le problème.
Je regarde les matchs seul sur mon téléphone. C’est mieux de rester seul : premièrement, ça me dérange pas, j’aime bien. Et surtout, comme ça tu évites les embrouilles. Parfois, au foot, les esprits s’échauffent, je n’aime pas ça.
J’ai des contacts ici, à Paris, quelques amis, mais vraiment, je préfère être seul devant mon écran. Ça reste festif, ce n’est pas triste pour moi. Après les matchs, on s’appelle avec mes amis pour se chambrer.
Je vis avec un colocataire dans un appartement. Lui, il est Guinéen, il vient de Conakry. On ne supporte pas la même équipe, alors on ne regarde pas les matchs ensemble.
Mes pronostics pour la suite ? La victoire de la Côte d’Ivoire, bien sûr. Là, on va jouer contre le Mali. On est favoris. Ils ne nous ont battus que deux fois. Nous, on les a battus 14 fois. C’est plié !
Mais si jamais la Côte d’Ivoire perd, je ne sais pas qui je soutiendrai. J’aimais bien le Maroc, mais ils ont été éliminés. Peut-être que je soutiendrai le Nigeria… On verra !