Apouh-Ngog : un conflit foncier hérité de la colonisation oppose toujours la Socapalm aux populations locales

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Dans le village d’Apouh, arrondissement d’Édéa 1er (Sanaga Maritime), un contentieux foncier oppose depuis plusieurs années les habitants à la Société Camerounaise de Palmeraies (Socapalm). Les riverains réclament la restitution d’une terre qu’ils considèrent comme historiquement leur propriété, dénonçant une occupation massive par l’agro-industrielle.


Des racines coloniales encore visibles

Le conflit puise ses origines dans l’époque coloniale, lorsque les terres d’Apouh furent transférées à des exploitants étrangers. Au fil du temps, les structures agricoles ont changé de mains — de la SProA à la SPFS, jusqu’à la reprise par la Socapalm en 2010. Pour Sa Majesté Ditope Lindoume, chef traditionnel, la situation est critique : « Près de 90 % de nos terres sont occupées. Nous sommes encerclés par la palmeraie. »

Il insiste sur l’antériorité du village par rapport à l’installation de la plantation : « Nous sommes les premiers occupants. Cette lutte dure depuis l’époque coloniale. »

La position de la Socapalm et les zones d’ombre administratives

De son côté, la Socapalm affirme qu’elle paie un bail à l’État et revendique plus de 27 millions de FCFA investis entre 2022 et 2025 dans le développement local (éducation, santé, infrastructures, eau potable). Toutefois, pour les habitants, ces efforts ne peuvent occulter les enjeux fonciers fondamentaux.

Sa Majesté Ditope soulève de sérieuses interrogations sur la légalité de certaines attributions foncières : « Des milliers d’hectares ont été octroyés en violation des textes, sans titres réguliers, parfois même par des autorités incompétentes. »

Détresse sociale et sentiment d’abandon

La tension s’est aggravée avec la présence accrue des forces de l’ordre pour sécuriser les opérations de la Socapalm, renforçant le sentiment d’exclusion des habitants. Janvier Etamane, père de onze enfants, témoigne : « Nous n’avons ni devant, ni derrière. Les familles n’ont plus de terres pour cultiver. L’accès à nos champs et à l’eau est bloqué. »

Les villageois réclament une rétrocession des terres excédentaires et un espace vital pour vivre dignement, soulignant que leurs demandes n’ont jamais été prises au sérieux par les autorités locales.

Un dialogue suspendu, un avenir incertain

Malgré plusieurs réunions administratives, aucune solution concrète n’a encore émergé. La frustration grandit. « Est-ce qu’on vient développer le chez-vous en vous tuant ? » lance Etamane. Les habitants demandent une reconnaissance officielle de leurs droits et un véritable processus de médiation impliquant l’État.

Un symbole de la fragilité foncière en Afrique

Ce cas illustre les tensions durables entre communautés rurales et entreprises agro-industrielles. Il met en lumière le rôle central de l’État dans la gestion équitable des terres et la nécessité de prendre en compte la mémoire historique et les besoins réels des populations.

Tant qu’aucune clarification juridique n’est apportée, Apouh restera le symbole d’un conflit ancien, nourri par le silence administratif et l’absence d’un cadre de concertation crédible.