Les enseignants du Nord-Ouest et du Sud-Ouest mènent une vie pas comme les autres. Ils bravent toutes les intempéries quotidiennes pour donner une éducation civique et morale aux élèves.
C’est une vie de galère que mènent désormais les enseignants affectés dans les deux régions anglophones du Cameroun pour besoins de service. En effet la guerre qui y sévit depuis 2016 a contraint ces fonctionnaires de l’Etat, à abandonner leur poste de travail pour chercher refuge dans les régions francophones, présentées comme étant plus calmes et moins incertains.
Les séparatistes « Ambazoniens » qui revendiquent la propriété autonome de cette partie du territoire camerounais, s’opposent farouchement aux enseignements dispensés par des fonctionnaires affectés par le gouvernement et prennent pour cible, toute personne présentée comme étant enseignant.
Le mot d’ordre ici est « zéro école » et tout le monde est contraint de se conformer à la « règle ». La grande majorité des enseignants en service dans ces deux régions en crise, se trouvent obligés de rester hors de la zone de turbulence, où ils sont appelés à mener des activités assez minables au quotidien, pour subvenir au besoin de leur famille.
Désormais reconvertis en ménagères ou bien en enseignants vacataires, ces professionnels se livrent à des services beaucoup moins onéreux, avec des revenus dont la valeur est plus ou moins égale à nul.
Rodrigue 38 ans, enseignant titulaire de au CES de DJOTIN, a vu son rêve de jeune professeur des lycées d’enseignement général se briser, trois ans après sa prise de service dans cet établissement du département du NDONGA MANTUM, dans le Nord-Ouest. « Tout a commencé comme une blague, quand nous posions la question à nos élèves de savoir pourquoi ils ne viennent plus à l’école, ils répondaient tout naturellement que leurs leaders ont les ont interdits de mettre encore pied à l’école. C’est comme ça que l’établissement s’est progressivement vidé de son effectif d’élèves jusqu’au dernier. Toutefois nous y revenions pour tenter de convaincre les élèves à reprendre le chemin de l’école, cependant notre volonté a rencontré la farouche colère des amba-boys qui ont décidé de s’en prendre au corps enseignant et finalement à tout ce qui est fonctionnaire »
Aujourd’hui contraint de poursuivre sa vie à Douala, il est enseignant vacataire dans un lycée de la place. Son revenu mensuel est sans commentaire, mais le jeune seigneur de la craie n’a en aucun cas abandonné le métier de ses rêves.
Autre lieu autre enseignante ; elle, c’est Irène, Professeur des lycées d’enseignement technique de FUNDONG, chef-lieu du Département de BOYO, dans le Nord-Ouest-Cameroun. Désormais reconvertie en ménagère, elle s’occupe au quotidien à l’encadrement de ses enfants en plus de quelques cours de répétition aux élèves du lycée technique de Douala-Bassa, présents à son voisinage. Elle s’est confiée à notre rédaction en présentant chaque voyage de prise de service au sein de son établissement comme étant un pari risqué au prix de sa vie. « Chaque début de trimestre, je dois me rendre à l’établissement pour faire signer la présence effective par mon Proviseur. L’enseignant qui manque à l’appel, reçoit un avertissement depuis le ministère. Pour y aller il faut laisser, à la maison, tous documents susceptibles de trahir ta nationalité camerounaise. Carte nationale d’identité, acte de naissance, carte électorale. Si les Amba trouvent une copie de ces documents sur toi, ils te tuent. Moi j’ai risqué 2 fois, c’est mon ton anglophone qui m’a sauvé. Deux collègues ont été assassinés en avril quand ils allaient prendre service pour le troisième trimestre. Moi ça m’a découragé ».
Après plusieurs tentatives de présence effective au sein de son poste d’affectation et au regard du risque encouru, la jeune Professeure des lycées d’enseignement technique a finalement abandonné.
Des fonctionnaires déplacés internes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, il en existe des centaines de milliers en souffrance sur le territoire national camerounais. Le corps enseignant en paye la lourde tribu. Ces professionnels de l’éducation qui, face à l’adversité, ont fait le choix se donner une nouvelle vie.
Face au dilemme d’un patriotisme aveuglé qui met en jeux leur vie, doublé d’un devoir d’obéissance aux instructions de leur hiérarchie ministérielle, et l’instinct de survie afin de voir grandir leurs enfants, ils ont vite fait de choisir l’option d’abandon de poste.
Dans plusieurs communiqués rendus public par la Ministre camerounaise des enseignements secondaires, le professeur NOLOVA LYONGA brandit la menace d’une radiation définitive de tous les enseignants absents au poste depuis plusieurs mois. Parmi les 600 enseignants cités, ceux de la zone anglophone sont les plus pointés du doigt, selon la liste en mage du communiqué du 30 juin 2021.
Sur le terrain, les séparatistes « Ambazoniens » les recherchent avec acharnement, en multipliant des attaques ciblées sur les établissements scolaires à chaque fois.
Quelques jours seulement après la célébration de la Journée Internationale de l’enseignant (mardi 05 Octobre 2021), les enseignants déplacés des régions anglophones du Cameroun vivent mal. Tellement mal que leur quotidien devient de plus en plus préoccupant ; leur avenir professionnel s’entache davantage d’incertitude. Une situation qui continue d’assombrir l’image de l’éducation nationale, dans un pays qui s’est d’ailleurs proposé de fixer le cap de son émergence à l’horizon 2035.