Cameroun : le chef du village Apouh dénonce l’accaparement des terres par la Socapalm et l’inaction de l’État

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Un village encerclé par la palmeraie

Depuis deux décennies, le village d’Apouh à Ngog, dans l’arrondissement d’Édéa 1er (Sanaga Maritime), vit sous la pression grandissante de la Société Camerounaise de Palmeraies (Socapalm). Près de 90 % des terres ancestrales seraient désormais occupées par l’entreprise, selon le chef traditionnel de troisième degré, Sa Majesté Ditopé Lindoumé. Face à ce qu’il décrit comme un encerclement économique et territorial, le chef dénonce une situation d’asphyxie orchestrée avec la complicité de l’administration.

Dans une déclaration poignante, il accuse le préfet de la Sanaga Maritime, M. Abondo, de vouloir le destituer pour avoir défendu les intérêts de sa population. Auditions, convocations, intimidations : la pression sur le chef ne cesse de s’accentuer depuis son opposition au développement de la palmeraie.

Des terres ancestrales revendiquées… et contestées

La principale revendication porte sur la restitution d’un espace vital estimé à environ 3000 hectares. Selon le chef, ces terres auraient été illégalement occupées ou acquises dans des conditions opaques. Il cite notamment des titres fonciers erronés, des villages fictifs comme « Déhané », et des opérations de bornage conduites sans la communauté. « Certains titres fonciers sont sans plans de masse ni procès-verbaux, ce qui rend leur validité douteuse », alerte-t-il.

La communauté d’Apouh dénonce également des expropriations forcées, des cultures détruites et une absence quasi totale de retombées économiques pour le village. Aucun ressortissant local n’occuperait de poste à responsabilité à la Socapalm, malgré l’exploitation intensive du territoire.

Complicité administrative et déni de dialogue

Le témoignage du chef met en lumière une dynamique inquiétante : selon lui, l’administration camerounaise agit plus en soutien de l’entreprise qu’en médiateur. Il cite des propos du préfet remettant en cause son rôle de défenseur des droits de la population, et dénonce une gouvernance qui nie aux chefs traditionnels toute marge de manœuvre.

La tentative d’impliquer la communauté dans l’état des lieux cadastraux n’aurait été obtenue qu’après d’intenses pressions. Pour Sa Majesté Ditopé Lindoumé, les engagements pris par l’État pour encadrer les concessions sont restés lettre morte, et l’entreprise continue d’étendre ses activités malgré les instructions officielles d’arrêt.

Une détresse sociale et écologique grandissante

Outre la perte foncière, les conséquences sociales et environnementales sont sévères. « Nos rivières sont asséchées, la faune a disparu, les microclimats se dérèglent », alerte le chef. La communauté souffre de l’absence de terres cultivables, d’un accès réduit à l’eau et d’une montée du chômage. Ce déséquilibre alimente les frustrations, dans une région déjà fragilisée par des tensions anciennes liées aux terres.

Le recours à la force publique, avec la présence d’une cinquantaine de gendarmes, est perçu comme un signe de radicalisation administrative au détriment du dialogue. Pourtant, le chef affirme rester favorable à une solution négociée et légale, mais prévient : « Trop, c’est trop. »

Vers une sortie de crise ?

Sa Majesté Ditopé Lindoumé appelle l’État camerounais à jouer pleinement son rôle de garant de l’intérêt général. Il réclame une implication directe du gouvernement pour faire respecter les procédures légales, réévaluer les titres fonciers contestés et restaurer les droits de la communauté.

Malgré les tensions, la communauté d’Apouh se veut pacifique et ouverte au dialogue. Mais l’absence de réponse institutionnelle crédible pourrait transformer un conflit foncier en crise sociale plus large. À l’heure où la question du foncier rural devient un enjeu majeur pour la stabilité du Cameroun, l’affaire Apouh-Socapalm pourrait bien cristalliser les tensions entre développement agro-industriel, respect des droits coutumiers et souveraineté locale.